Maladie d’Alzheimer et consentement aux soins : « Être ou ne pas être », telle est toujours la question…
Aujourd’hui, plus d’un million de personnes en France souffrent de troubles neurocognitifs. Les deux tiers sont atteints de la maladie d’Alzheimer. Si de nombreuses avancées dans le domaine de la recherche voient le jour sur les mécanismes d’action de cette maladie, avec des espoirs thérapeutiques à la clef, dans le quotidien auprès des malades, l’accompagnement rencontre encore bien des écueils. En effet, les tableaux cliniques souvent complexes tendent à morceler le regard porté, chaque expert explorant l’une ou l’autre des facettes de la maladie. Au risque de perdre parfois de vue la personne atteinte. Or, il n’y a pas de maladie sans malade et pas de malade sans un contexte de vie spécifique. Réintégrer une analyse bio-psycho-sociale serait donc une piste pour (re)trouver la dignité de la personne malade. Et ne pas succomber à la tentation de la protéger de tout y compris d’elle-même.
Maladie d’Alzheimer et autonomie : quels enjeux ?
La pensée humaine est sous-tendue par les fonctions cognitives : l’attention, la mémoire, les fonctions exécutives et les fonctions instrumentales. La particularité des maladies type Alzheimer (et autres troubles neurocognitifs majeurs) est l’altération irréversible des réseaux de neurones sous-tendant ces fonctions cognitives. Cette altération est progressive. Il est possible de distinguer différents stades de la maladie, chacun ayant des caractéristiques symptomatiques plus marquées. Les fonctions cognitives sont cependant très intriquées les unes aux autres. Ainsi il y aura dès le début de la maladie une altération des aptitudes de la personne malade à réaliser de manière efficiente les activités de la vie quotidienne et les difficultés deviendront croissantes dans l’interaction avec l’environnement.
Une des répercussions directes de la maladie sera donc la perte d’autonomie, c’est-à-dire la capacité pour la personne malade de décider par elle-même et d’agir en fonction. Dans le domaine du soin cela signifie qu’elle devient inapte à donner un consentement éclairé.
En effet, le consentement repose sur le raisonnement et l’argumentation et est exprimé par le langage. Il traduit l’évaluation de sa situation par la personne elle-même, à partir des informations qui lui sont données, ainsi que l’anticipation des conséquences que pourraient avoir ses choix. Choix qui tendent à se réduire, dans le système sanitaire, à une expression binaire : accepter ou refuser.
Il est à noter que le consentement s’élabore selon un processus complexe, dans lequel l’affectivité joue un rôle majeur. Or, nos émotions sont rarement aussi binaires que nos pensées, mais bien souvent ambivalentes. Une écoute active trouverait ainsi assez vite des éléments sur lesquels questionner ce consentement rationnalisé. Il se pourrait donc que le consentement soit en réalité labile, assujetti au lien qui unit les interlocuteurs, au contexte dans lequel il est émis. Son recueil devrait relever d’une pratique itérative, respectueuse du cheminement de l’autre.
Si la personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée, lorsque les troubles sont à un stade avancé, ne peut effectivement plus participer activement aux décisions médicales qui la concernent, ni refuser un traitement tel que dans l’esprit du code de la santé publique, cela signifie-t-il pour autant qu’il faille, de fait, la considérer comme consentante ? A tous les actes, tous les soins du quotidien auquel les déficits liés la maladie l’exposent ? et ce, quel que soit le professionnel qui les réalise ?
Maladie d’Alzheimer et troubles du comportement : un rapport de causalité ?
Parallèlement à ces dégradations des processus cognitifs, des Symptômes PsychoComportementaux (SPC) vont fréquemment apparaître. Ces derniers sont des comportements, attitudes ou expressions en décalage avec le comportement antérieur et qui perturbent le fonctionnement de la personne, voire sont dangereux pour elle ou pour autrui. Ils peuvent avoir des conséquences importantes pour la personne malade comme pour son entourage et sont souvent à l’origine de la demande d’entrée en institution. Les Symptômes PsychoComportementaux sont considérés comme en lien avec la maladie, presque comme des effets secondaires de son évolution.
De plus en plus de voix s’élèvent cependant pour questionner cette causalité trop facilement acquise. Car, ce n’est pas parce qu’un comportement est troublant qu’il est forcément pathologique. Si leur étude demande à ce que soit objectivement évalué leur fréquence et leur gravité, elle doit aussi permettre de les mettre en lien avec leur contexte de survenue.
C’est l’approche que propose par exemple les TNM (Thépapeutiques Non-Médicamenteuses). Il ne s’agit plus de lutter contre le comportement perturbant, de vouloir à tout prix le faire cesser, mais de le considérer comme la marque d’une communication non-verbale signifiante. Pour cela une démarche globale doit être mise en œuvre, selon une méthodologie structurée avec une évaluation clinique complète, l’élaboration d’un plan d’interventions, sa planification et la mesure de son efficacité, y compris en termes de qualité de vie et d’accompagnement.
Parmi les 12 Symptômes PsychoComportementaux caractérisés se trouvent l’agitation et l’agressivité. L’agitation est un comportement moteur ou verbal excessif et inapproprié. L’agressivité est un comportement physique ou verbal menaçant ou dangereux pour l’entourage ou pour la personne elle-même. Toutes deux peuvent s’exprimer par des manifestations d’agacement, un manque de coopération, des comportements bruyants, une opposition aux soins.
Retenons l’opposition aux soins et tentons d’émettre des hypothèses explicatives. Dans un contexte de soin comme la toilette, par exemple, il pourrait ainsi s’agir d’un comportement défensif c’est-à-dire produit en réaction à un choc sensoriel (bruits, lumière…) lors de l’entrée dans la chambre. L’opposition pourrait également traduire une incompréhension, voire une résistance à l’intrusion du soignant dans l’espace intime (de la chambre et/ou du corps).
Ce comportement pourrait alors signifier, sinon un refus, au moins une absence de consentement ou de son recueil. C’est-à-dire, une absence de prise en compte du malade. Le professionnel considérant peut-être que, du fait de l’institutionnalisation et/ou de la récurrence des soins, l’information préalable n’est pas de mise, encore moins en présence de troubles cognitifs.
Or, sans information préalable, claire et adaptée, pas de consentement possible. Et sans consentement un acte de soin est-il toujours thérapeutique ?
A la croisée des chemins : l’assentiment et le projet personnalisé
Cette approche représente un mouvement vers la personne malade. Au-delà des déficits de la maladie, elle pourrait avoir toute sa place dans la démarche de co-construction des projets d’accompagnement personnalisé en EHPAD. Elle donnerait une autre dimension que celle, opératoire, souvent mise en avant dans ce contexte et serait peut-être plus en phase avec les valeurs soignantes. En effet, le projet personnalisé a pour vocation d’harmoniser l’accompagnement, pour qu’il ait du sens au sein de l’équipe soignante et pour qu’il soit source d’un dialogue avec les proches.
Ce serait l’occasion de faire émerger une nouvelle voie/voix : celle de l’assentiment.
L’assentiment est la traduction, élaborée collégialement, grâce aux outils de la communication non-verbale et d’un travail formalisé, de ce que la personne donne à voir d’elle dans la situation actuelle de son accompagnement. Il est le fruit de l’analyse du paysage mental que la personne accompagnée fait émerger au fil des interactions avec chacun des membres de l’équipe.
Il pourrait alors s’agir de constituer une grille de lecture des comportements habituels de la personne accompagnée en accordant une attention accrue aux signaux faibles de la communication : comment nous manifeste-t-elle son accord ou son désaccord ? à quels indices nous fions-nous pour savoir si elle est confortable, apaisée ou au contraire mal à l’aise, insatisfaite ? Et l’enrichir de l’analyse de ce que ces comportements viennent faire résonner chez chaque soignant, au fil des interactions diverses que l’accompagnement fait naître.
Il ne s’agirait donc pas de parler au nom de la personne, d’exprimer un choix pour elle, mais de sortir d’une communication contrôlante pour orienter notre prise en charge vers un plus grand respect de son autonomie résiduelle.
Ce portrait « en creux » de la personne accompagnée devrait également faire jouer les contrastes entre les informations apportées par les proches sur ses valeurs et ses préférences antérieures et ce qu’elle manifeste ici et maintenant. C’est-à-dire, prendre en considération les changements qui ont pu s’opérer en elle du fait de la maladie et de la dépendance qu’elle entraîne. En allant, si nécessaire, questionner l’aspect palliatif de refus répétés. C’est-à-dire, en mettant en avant la recherche de l’accompagnement le plus juste.
En conclusion
Les questions éthiques que pose l’accompagnement des personnes vulnérables nous poussent à toujours chercher le malade derrière la maladie, en lui donnant réellement les moyens de nous faire face. Pour cela, nous devons adapter nos postures professionnelles pour nous rendre accessibles et rendre intelligibles nos actes de soin. Car ce n’est qu’à partir de ce moment-là, que nous pourrons nous dire véritablement soignant. Et, pour peu qu’on s’en donne les moyens, la recherche d’un consentement adapté est, non seulement possible, mais devrait être systématique, y compris au quotidien. Car il se pourrait bien que la recherche du consentement soit un acte de soin comme les autres, peut-être même le premier d’entre eux…
Bibliographie
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Pour aller plus loin
Le GRIEPS propose différentes formations en lien avec les thématiques abordées :
Maladie d’Alzheimer et pathologies apparentées
Cette formation permet aux stagiaires de connaître et d’identifier les caractéristiques des troubles neurocognitifs majeurs et des symptômes psychocomportementaux associés pour optimiser l’accompagnement.
Thérapies non médicamenteuses : les fondamentaux
Cette formation a pour objectif d’intégrer les Thérapies Non-Médicamenteuses dans l’accompagnement des personnes atteintes de troubles neurocognitifs.
Projet personnalisé en ESSMS : le construire pour le faire vivre
Cette formation offre aux équipes une aide pour élaborer une démarche pérenne de co-construction du projet personnalisé.