Les pratiques avancées infirmières en psychiatrie : notre série vous informe
Le statut d’Infirmier.ère de Pratiques Avancées en France.
Si nul ne peut ignorer les multiples difficultés ayant conduit à la construction de ce nouveau métier, force est de constater que le changement paradigmatique est en route, comme dans de nombreux pays où la pratique avancée infirmière est déjà implantée avec des résultats positifs sur les soins et les accompagnements (Canada, Suisse, Royaume-Uni, États-Unis d’Amérique…)
Depuis juillet 2018, le statut d’Infirmier en Pratiques Avancées dans certains domaines de la santé (pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies en soins primaires, oncologie-hémato-oncologie, maladie rénale chronique –dialyse, transplantation rénale) est légitimé par le décret n°2018-629. Sans revenir sur le contenu exhaustif de ce décret, il convient d’en cerner les contours principaux, car il installe l’IPA dans 4 grands champs d’action :
- L’expertise clinique dans un domaine d’intervention,
- La prise de décisions adaptatives et associées à certains soins ou prescriptions,
- L’accompagnement des pairs, notamment dans l’analyse de pratiques professionnelles et le questionnement éthique,
- Le développement de la recherche infirmière et de la formation.
Un consensus au sein de la Francophonie s’est dégagé en ce sens, initié puis relayé par le SIDIIEF (Morin D., La Pratique infirmière avancée, SIDIIEF, 2018). À ce jour, soulignons que le texte législatif produit déjà ses effets en termes d’offre de formations universitaires, sans toutefois régler la question du statut et de la rémunération de l’IPA (textes en attente de publication), notamment au sein de la fonction publique hospitalière.
L’exercice en Pratique Avancée et le champ de compétences en France
Actuellement, plusieurs conditions dites cumulatives permettent de prétendre à l’exercice d’infirmier.ère en pratique avancée (extraits, ONI 2018) :
- L’obtention du Diplôme d’État d’Infirmier en Pratique Avancée, par acquisition d’un Master 2,
- La justification de 3 années minimum d’exercice en équivalent temps plein de la profession infirmière,
- L’élargissement de compétences liées à un domaine d’intervention mentionné sur le diplôme.
Le décret n° 2018-629 ainsi que l’Arrêté du 18 juillet 2018 fixent les compétences, actes, dispositifs et prescriptions de l’IPA. Sans entrer dans le dédale législatif, retenons, toutefois, que l’exercice de l’IPA est fortement encadré par un protocole dument établi entre un médecin et l’IPA :
- Le ou les domaines d’intervention concernés,
- Les modalités de prise en charge par l’IPA,
- Les modalités et la régularité des échanges d’informations et des réunions de concertation pluriprofessionnelle,
- Les conditions de retour du patient vers le médecin.
L’autonomie nécessaire à l’exercice de l’IPA, la réactivité et la souplesse d’intervention restent donc partielles et assujetties à une décision médicale, c’est-à-dire, non fondée sur une expertise infirmière reconnue.
Les IPA en Psychiatrie : une avancée pour répondre aux besoins des populations en souffrance psychique
Si les premières promotions d’IPA sont actuellement en formation, qu’en est-il des infirmiers.ières exerçant en psychiatrie ? En 2018, curieusement, ils ont été momentanément exclus des premiers textes législatifs, probablement faute de consensus et d’entente possibles sur la question entre acteurs de la psychiatrie. Tout se passe comme si l’expertise infirmière dans le champ de la psychiatrie peinait à se voir reconnaître, alors même qu’elle contribuerait très certainement à une meilleure prise en compte de la Santé Mentale en France. Les besoins et perspectives en termes de Santé Mentale montrent toute la complexité, voire les limites de notre système actuel dans les réponses données à la souffrance psychique et aux personnes y faisant face. Ainsi, les discussions sur les futurs textes législatifs concernant la Pratique Avancée Infirmière en Psychiatrie peinent encore à éclore… même si l’échéance annoncée par le Ministère de la Santé arrive à grand pas (septembre 2019). À cet effet, nul doute que le statut d’IPA en Psychiatrie devrait reprendre en partie celui de l’IPA constitué par le décret n°2018-629 et l’Arrêté afférant du 18 juillet 2018.
Initier une forme de « spécialisation infirmière » en psychiatrie relève d’une évidence (voir actualité précédente écrite par Michel Combret), plus particulièrement en termes de Santé Publique et de prise en compte des besoins des populations en France comme dans le monde. Ainsi, l’OMS souligne combien il est important de prendre conscience des enjeux autour de la Santé Mentale et de l’évolution nécessaire des métiers pour y faire face :
- Plus d’1 personne sur 5 sera touchée par un trouble mental en 2020.
- Pour 18 % de la population générale au moins, la dépression est un épisode traversé et qui parfois peut conduire à des drames : des tentatives de suicides (200 000 TS chaque année en France) ou pire, au suicide (près de 10 000 chaque année).
- Parmi les pathologies les plus préoccupantes au XXIe siècle, 5 concernent la Santé Mentale : la schizophrénie, le trouble bipolaire, l’addiction, la dépression et le trouble obsessionnel compulsif.
Pour l’heure, en France, il est établi que (observatoire de la santé, France, 2018) :
- 4,3 % de la population générale sont concernés par des troubles phobiques,
- 12,8 % des personnes ont souffert à un moment de troubles anxieux généralisés,
- Les troubles bipolaires concernent 3,7 % de la population générale,
- Les troubles schizophréniques concernent environ 0,7 % de la population générale.
Au-delà de certaines résistances, de certains conservatismes et corporatismes, il s’agit bien d’instaurer des modalités et modèles nouveaux dans la façon d’organiser et d’accompagner l’accès aux soins des citoyens, dans cet esprit qui fait l’essence même du soin psychique : la pluridisciplinarité et la complémentarité comme autant de regards croisés portés sur une situation complexe. Ainsi, de nouveaux métiers, pour endiguer les difficultés actuelles de prise en charge et les délais dans l’accès aux soins des personnes les plus vulnérables, sont plutôt bienvenus.
Le positionnement éthique du GRIEPS
Le GRIEPS a toujours défendu la nécessité d’une forme de spécialisation dans l’exercice infirmier en psychiatrie. C’est pourquoi il a créé depuis plusieurs années des formations innovantes autour de certificats de « spécialistes en psychiatrie », auprès des infirmiers.ères et des Aides-soignant.e.s.
Nous pensons que les pratiques avancées infirmières en psychiatrie n’ont de sens que si elles s’organisent d’abord et surtout autour d’une expertise clinique. Celle-ci ne peut se limiter à la connaissance des troubles psychopathologiques mais bien au fait de s’être « confronté », au fil du temps, aux conséquences de ceux-ci sur la relation de soin, sur l’écologie du patient et sur le développement de son projet de vie. Éprouver la rencontre avec celui qui souffre psychiquement, c’est être amené à comprendre, par le récit biographique, le sens même des troubles psychiques et leurs retentissements sur la vie du sujet.
Au-delà d’une revendication légitime d’évolution du métier infirmier, il s’agit bien, du coup, de définir ce qui légitimerait une forme d’expertise infirmière en psychiatrie. Ce n’est pas l’expérience (de 3 ans ? dans quelles spécificités en psychiatrie ?) qui crédibilise la compétence mais bien la réflexivité constante et les capacités d’analyse situationnelle et interactionnelle. La praxis infirmière dans le champ de la psychiatrie relève aussi de l’informel, de la singularité des personnes et de la disparité des situations ainsi que de la multiréférentialité des interventions. En ce sens, il existe une « science infirmière » à valoriser d’abord par une reconnaissance universitaire et le processus LMD ; par l’empowerment et l’émancipation des infirmiers ensuite. La pratique avancée infirmière en psychiatrie ne saurait s’agréger uniquement à celle du médecin et dont la délégation par protocole en serait la pierre angulaire.
L’on voit bien que la légitimité et la crédibilité de l’IPA en psychiatrie ne se décrèteront donc pas. Elles se construiront, si et seulement si, elles se nourrissent d’une expertise éprouvée et reconnue par les différents intervenants, au-delà d’un savoir académique éminemment indispensable aujourd’hui. Elles se construiront aussi si le champ de compétences de l’IPA reste respectueux des compétences socles de l’exercice infirmier en psychiatrie et « ne se prenant pas pour un petit médecin » (Morisset J, pratique avancée infirmière c’est parti, revue Santé Mentale, 08/18). Donnons-nous quelques exemples (extrait de l’Article R. 4311-6 du Code de Santé Publique) :
- L’entretien d’accueil du patient et de son entourage (commentaire de l’auteur : les Pratiques Avancées en Psychiatrie intègreront-elles la notion d’entretien de première intention, ce qui compliquerait singulièrement la réactivité des professionnels intervenant au sein des structures extrahospitalières ou des services d’urgence psychiatrique faute d’IPA suffisamment formés ?)
- La surveillance et l’évaluation des engagements thérapeutiques qui associent le médecin, l’infirmier ou l’infirmière et le patient (commentaire de l’auteur : quid de la coordination des soins par d’autres professionnels ?)
Enfin, et pour conclure, quelle sera la place et la position de l’IPA en psychiatrie au sein de son institution ? Au sein d’une équipe pluridisciplinaire ? En position transversale ? De ces choix cruciaux dépendra en partie son intégration, sa collaboration et sa complémentarité avec le médecin, l’équipe pluridisciplinaire, le cadre de santé.
C’est dans cet esprit que le GRIEPS proposera dans les semaines à venir sa vision des missions et fonctions de l’IPA en psychiatrie et très certainement de la politique à mener en termes de formations pour ces nouveaux professionnels de la santé.