Les pratiques avancées infirmières en psychiatrie : notre série vous informe
La formation infirmière en France
La formation infirmière, en France, depuis le XIXème siècle, a beaucoup évolué. Il faut remonter en 1902 pour trouver la première définition de l’infirmière et en 1907 pour voir les premières écoles s’ouvrir. En 1922, fut créé le brevet de capacité professionnelle permettant de porter le titre d’Infirmière Diplômée d’État – ignorant la réalité du soin en psychiatrie – remplacé ensuite, en 1938, par le Diplôme d’État d’Infirmier.
En psychiatrie, en 1878, « l’asile de la Salpêtrière » accueille ses premiers élèves appelés alors « infirmier des asiles d’aliénés » terme remplacé en 1937, suite à l’apparition de « l’hôpital psychiatrique », par « infirmier psychiatrique ». Le premier diplôme reconnu, d’une durée de formation de 2 ans, date du 23 juillet 1955 entériné ensuite par l’arrêté du 16 février 1969 du titre « d’infirmier de secteur psychiatrique » et du 16 février 1973 portant la formation des ISP à 2 ans et 4 mois. L’arrêté du 26 avril 1979 la porte à 33 mois et introduit une première année commune entre IDE et ISP. En 1992, un décret met fin aux études séparées et les infirmiers diplômés d’état peuvent exercer, au cours de leur carrière, dans différents domaines. Ce rapprochement a été -et est toujours- très controversé (voir article de Michel Combret). La dernière réforme des études infirmières date de juillet 2009 (système LMD) basée sur la notion de compétences à acquérir.
Infirmier en Pratique Avancée (IPA)
Dernièrement, prévue par la loi de modernisation du système de santé et l’article 119, la pratique avancée infirmière a vu le jour. Le décret n° 2018-633 du 18 juillet 2018 crée le diplôme d’État d’Infirmier en Pratique Avancée.
Les IPA disposeront de compétences élargies, à l’interface de l’exercice infirmier et de l’exercice médical. Ils pourront suivre (avec leur accord) des patients confiés par un médecin de l’équipe de soins au sein de laquelle ils exerceront, sur la base d’un protocole d’organisation établi pour préciser les modalités de leur travail en commun.
De plus, l’IPA contribuera à l’analyse et à l’évaluation des pratiques professionnelles infirmières et à leur amélioration ainsi qu’à la diffusion de données probantes et à leur appropriation. L’Infirmier en Pratique Avancée produira des connaissances en participant à des travaux de recherche relatifs à l’exercice infirmier et après évaluation des besoins en formation de l’équipe, élaborera des actions de formation.
Psychiatrie et Infirmier en Pratique Avancée
Depuis la parution, en juillet, des textes réglementaires régissant la profession d’IPA, pour ses trois premières mentions, ceux régissant et définissant la pratique avancée en psychiatrie sont très attendus. Un groupe de travail (composé de représentants des conseils nationaux professionnels des infirmiers, de la psychiatrie, de la médecine générale entre autres) s’est réuni de janvier à mars à la DGOS pour élaborer le référentiel des activités et les compétences pour ce domaine d’intervention.
Ces dernières années, de nombreux rapports ont fait le constat unanime que la psychiatrie publique française est en pleine dépression. Sur le terrain, est souligné des soignants usés et désabusés, des familles et des patients qui se sentent abandonnés, des délais sans fin de prise en charge. L’offre hospitalière publique en psychiatrie se base sur la sectorisation depuis 1960. Le secteur dispense et coordonne pour une aire géo-démographique de proximité, l’ensemble des soins et services nécessaires à la couverture globale des besoins : prévention, soins, postcure et réadaptation. La prise en charge et la coordination des soins sont assurées par des équipes pluridisciplinaires. Les Centres Médico-Psychologiques (CMP) constituent un maillon essentiel. À ce jour, ils sont de plus en plus engorgés et débordés. Les causes sont connues. Tout d’abord, les patients, sont toujours plus nombreux. Entre 2010 et 2016, près de 300 000 personnes supplémentaires ont ainsi été suivies en psychiatrie. Puis, le Syndicat des psychiatres des hôpitaux estime qu’entre 900 et 1 000 postes de psychiatre sont aujourd’hui non pourvus. Enfin, le nombre de lits à temps complet a été réduit de 70% durant les trois dernières décennies.
Le professeur Franck Bellivier, spécialiste des troubles mentaux, a été nommé délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie et sera chargé d’appliquer la feuille de route dévoilée en juin dernier. Elle porte sur l’amélioration des conditions de vie, d’accompagnement et d’accès aux soins des personnes souffrant de troubles psychiques et va dans le sens de la loi de modernisation de notre système de santé 2016. Face à l’allongement de la durée de vie et au vieillissement des populations, au développement des maladies chroniques et devant la persistance des inégalités aux soins, différentes mesures ont été définies notamment autour des parcours de santé et la définition d’un projet territorial de santé mental.
C’est dans ce contexte que les référentiels des IPA en santé mentale et psychiatrie seront bientôt connus. Compte-tenu des domaines de compétences de l’IPA ouverts aux trois domaines, du constat actuel et de la spécificité de la psychiatrie, des missions semblables pourraient être confiées.
L’IPA pourrait, comme le rapporte l’agence de presse spécialisée APMnews, qui a pu consulter les documents du groupe de travail, être compétent pour choisir les outils cliniques adaptés, analyser la pertinence du renouvellement et de l’adaptation de la prescription de traitements utilisés en psychiatrie, évaluer l’état de santé de patients en relais de consultations médicales pour des pathologies identifiées, prescrire des examens nécessaires à la surveillance des effets des traitements mais aussi des examens complémentaires au suivi.
Deux autres compétences de l’Infirmier en Pratiques Avancées en psychiatrie sont proposées par le groupe de travail, rapporte APM : « celle de pouvoir concevoir et mettre en œuvre des actions de prévention et d’éducation thérapeutique et celle d’être capable d’organiser les parcours de soins et de santé de patients en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés ». Nous retrouvons également des missions d’évaluation et d’amélioration des pratiques professionnelles, d’analyse et de production de données scientifiques.
À la lecture de ces éléments, nous pouvons dès à présent lister différentes compétences nécessaires à l’IPA : expertise solide autour de la sémiologie psychiatrique, de la conduite d’entretien et de la gestion de la crise, des prises en charges médicamenteuses, des surveillances adaptées et nécessaires au bon suivi des patients (notamment autour de la prévention et du traitement des comorbidités), connaissances fines des pratiques non-médicamenteuses, du terrain à travers une connaissance et un travail constant autour du réseau. L’Infirmier en Pratiques Avancées devra également connaître le contexte et les orientations présentes et futures de la psychiatrie tout en gardant sa posture d’IPA au service de l’analyse des pratiques professionnelles et de la production des données scientifiques.
Ces missions répondent au contexte actuel et aux problématiques rencontrées sur le terrain par les patients et les équipes. Néanmoins, comme le souligne Michel Combret, la formation infirmière actuelle, ne dispense pas des savoirs nécessaires à la maîtrise de la psychiatrie, ce qui est bien souvent identifié par les infirmiers nouvellement diplômés. Jean Michel Bourelle va dans le même sens notamment autour de la durée d’exercice de 3 ans et de la posture au sein d’une équipe pluridisciplinaire de l’Infirmier en Pratique Avancée.
Et demain…
Les bénéfices de la pratique avancée sont connus. Pour les infirmiers, de nouvelles perspectives de carrière avec l’opportunité d’un mode d’exercice plus autonome ; pour les médecins, du temps médical retrouvé ; pour les patients, une amélioration de l’accès aux soins ; pour le système de santé, un renforcement des structures d’exercice coordonnée et un surcroît de temps médical disponible. Les premiers IPA dédiés à la psychiatrie et à la santé mentale arriveront sur le terrain en 2021.
À ce jour, plusieurs questions se posent autour des compétences de l’IPA (programme de formation, parcours des candidats inclus en formation), de l’articulation avec le médecin psychiatre (l’étendue des activités et les modalités seront-elles coordonnées par un psychiatre ?), de la reconnaissance (financière) et de la responsabilité légale de l’IPA, de la collaboration et de la légitimité de l’IPA au sein d’une équipe pluridisciplinaire, du lieu d’exercice. Des premiers éléments de réponses arriveront à la sortie du référentiel. Ce qui est certain, c’est qu’avec l’arrivée des IPA en psychiatrie et en santé mentale, le paysage va évoluer. Il ne faudra pas alors perdre de vue le patient, la relation et la qualité des soins.